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                    Au détour de la route, émergeant des buis et des genévriers, contre l'épaulement
roux du causse, la lumière glisse sur l'éclat métallique d'un signal piqué dans le ciel. Haubané pour résister au vent, emprisonné par les verticales rigides d'un gibet de madriers, halé par un palan, cet étrange vaisseau amarré là, sur le large plateau, étend jour après jour ses rémiges métalliques au soleil. Jean Suzanne, l'arc à argon en main, construit ce "météore". C'est son nom. Il prendra place prochainement sur une place de briques rouges, cueillant dans les miroirs brisés de ses ailes de cinq mètres de haut les reflets des nuages et des façades.


                    En fait, l'itinéraire de ce sculpteur est à la fois curieux et fort simple. Rien a priori ne le
destinait à la sculpture puisqu'il fit des études d'électronique et travailla comme responsable des services techniques d'une entreprise durant des années.

                    Puis un jour ce fut le déclic, sa passion dévorante, celle à laquelle on ne peut résister, était bien de construire des volumes dans l'espace. Il attaque le bois d'abord et la pierre en recherchant sans cesse la simplification des formes, l'épuration toujours plus exigeante des plans.

                    Epris de belles matières, sa préférence va à l'arbre veiné, au tronc aux sillons profonds dans lesquels il coule de l'étain pour l'enrichir et pour jouer sur l'alternance de la matière ; il brunit l'acier au chalumeau, soude des éléments divers venus là, comme des scories brunes, pour faire ressortir le poli du métal ; mais surtout il galbe sensuellement les surfaces pour en faire des pièges à lumière.

                    Car c'est bien l'évidente préoccupation de Jean Suzanne ; il veut tendre à la lumière ses sculptures pour capter ses rayons et pour les apprivoiser. Afin de la mieux capter, il imagine des modules concaves ou convexes, mobiles, orientables sur un axe. Ainsi, ces deux éléments jouent non seulement par rapport à leur environnement mais aussi engagent entre eux un dialogue ; une dialectique savante et sensuelle naissent de cette confrontation.

                    Ces formes dupliquées ou géminées, on les retrouve dans la nature pour peu qu'on y prenne garde ; ainsi les akènes ailés du hêtre arqués en accolade ; ainsi l'aisselle des branches à la naissance du tronc, la côte cambrée du melon d'eau ou la texture éclatée de la pyrite ; mais, justement, partant de formes simples et forcément naturelles (la nature contient l'alphabet et le vocabulaire inépuisable des signes et des formes), il crée des volumes qui, par leur cohabitation et leur texture, vont prendre place dans l'espace comme des édifices de pure invention. Ils sont beaux parce qu'ils sont généreux, denses et aériens à la fois, et qu'ils possèdent la vertu secrète de faire oublier leur matière qui eût pu être froide et morne, pour satisfaire le regard gourmand de ces caprices contrôlés.

                    Et le grand V de leurs ailes, frémissantes comme des miroirs, tend ses sortilèges rigoureusement, méthodiquement, du plus petit élément jusqu'à la structure monumentale, en rendant grâce au ciel de lui fournir l'occasion de s'épanouir, généreusement dans leurs cuirasses d'acier.

 

Paul DUCHEIN - Artiste & Critique d'Art